Pierre-Étienne Flandin, député de l’Yonne, est rapporteur de la commission du suffrage universel. Il s’engage en faveur du vote des femmes et défend une proposition de loi prudente – afin de rassurer le Sénat conservateur – qui limiterait le vote des femmes aux élections municipales, générales et d’arrondissement : elles ne participeraient pas aux élections législatives. (Celles-ci sont les plus importantes puisque le président de la République n’est alors pas élu au suffrage universel direct comme aujourd’hui et n’a que peu de pouvoirs. Le pouvoir est essentiellement détenu par le Président du conseil, qui dépend de la majorité à l’Assemblée.)
La Chambre adopte la proposition de la commission mais le Sénat la rejette au bout de trois ans, de discussions, ce qu’il fait à nouveau en 1925, en 1932 et en 1935. La France, très en retard par rapport à ses voisins européens, doit attendre l’ordonnance du 21 avril 1944, après l’engagement des femmes dans la Résistance, pour que le suffrage devienne réellement universel.
Extraits du discours du 8 mai 1919
« [...] Cependant, voici que depuis vingt ans, autour de notre démocratie un peu fatiguée et vieillissante, de toutes parts, les femmes ont été appelées à prendre part à la vie politique.
C’est la Norvège, la Suède, le Danemark, ce sont les États de l’Amérique du Nord, de l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, qui, les premières, ont appelé les femmes à la vie publique. Puis, et surtout, depuis que la guerre a bouleversé la quiétude du monde, ce sont les nations plus voisines de la nôtre, c’est l’Angleterre, c’est la nouvelle Allemagne démocratique, c’est la Russie, c’est l'Autriche, c’est, hier, enfin, la Belgique.
De toutes parts, le mouvement se précipite et la question se pose de savoir si nous serons les derniers à le suivre.
Laissez-moi vous dire que nous ne pourrions nous obstiner, à mon sens, dans cet esprit conservateur qui a été de tout temps, en France, l’apanage des partis au pouvoir, qu’à deux conditions : démontrer que ces nations audacieuses se sont trompées et que l’expérience du suffrage des femmes n’a pas donné de résultats heureux ; ou bien prouver que la femme française ne possède pas les mêmes aptitudes à exercer ses droits politiques que l’Anglo-Saxonne, la Scandinave, la Russe ou l’Allemande, voire la Canadienne française qui, aujourd’hui, bénéficie de ces droits. ("Très bien ! Très bien !")
[...] Je sais bien que monsieur Taine a écrit un jour, sentencieusement et définitivement : "Boutiquière, femme du monde ou lorette, voilà l’emploi d’une Française. Elle excelle en cela et en cela seulement."
La guerre nous a permis de réviser ce jugement : monsieur Taine avait oublié les paysannes françaises. ("Très bien ! Très bien !")
[...] Quand, au moment de la mobilisation, il a fallu remplacer dans nos campagnes, environ trois millions de travailleurs, les femmes ont pris la charrue, la hotte et la bêche, la fourche et l’aiguillon, et elles ont fait lever les moissons, elles ont vendangé les vignes ; elles ont accru et conduit les troupeaux. Monsieur Taine avait oublié aussi les ouvrières françaises. ("Très bien ! Très bien !")
Quand il a fallu, pour vaincre, augmenter la production des armes, des munitions et des avions, c’est par centaines de milliers que les femmes françaises sont entrées dans l’usine de guerre.
Monsieur Taine avait oublié aussi les employées qui sont entrées dans tous les grands services publics [...] dans toutes les administrations publiques et ont permis à la France de continuer de vivre.
Il avait oublié enfin – laissez-moi vous le rappeler – les infirmières. Je crois, que mieux informés, nous pouvons nous incliner respectueusement devant ce que les femmes françaises ont fait pendant la guerre. (Applaudissements.)
Nous devons nous souvenir que monsieur Lloyd George, qui naguère, était un adversaire déterminé du suffragisme féminin, est venu prononcer à la chambre des communes, lorsqu’il a soutenu le projet étendant la franchise électorale aux femmes du Royaume-Uni, ces paroles significatives : "Le travail des femmes a été, pour le succès de nos armes, d’une importance vitale. Allons-nous, demain, les laisser sans voix dans la détermination des nouvelles conditions du monde ? Ce serait un outrage."
Et la chambre des communes l’a suivi et a accordé aux femmes le suffrage politique intégral. ("Très bien ! Très bien !") »
Pierre-Étienne Flandin, rapporteur de la commission du suffrage universel, discours du 8 mai 1919, assemblee-nationale.fr.
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